La question attire. Armer ou désarmer la police?
Une question simple et simpliste qui permet une émission BFM ou CNews à peu de frais et d’obtenir ainsi une caisse de résonance nationale avec des positions dogmatiques faciles à droite (voir plus bas le racolage obscène du maire de Toulouse pour récolter des adresses mails et jouer sur les peurs) comme à gauche (je ne détaillerai pas ici pourquoi Mathilde Panot savait très bien ce qu’elle faisait début juillet quand elle a choisi cet angle sur un plateau télé).
Je n’éluderai pas la réponse à cette question non plus en fin d’article. Mais si j’écris un blog c’est justement pour choisir le cadrage et le timing des questions clés de la politique municipale. Le sujet date de début juillet. La polémique est passée. Alors c’est le bon moment pour en parler au calme et rentrer dans la complexité du sujet pour espérer un débat apaisé.
Parce que la question des sécurités (le pluriel est important) est un sujet municipal essentiel. Pour les habitantes et habitants. Pour nos agents (et pas que la police municipale) qui doivent pouvoir exercer leurs missions sereinement.
Parce que Jean-Luc Moudenc va en faire un élément de campagne clé alors qu’il entretient une confusion complète sur le sujet, que son bilan en la matière en 10 ans n’a rien de reluisant et que, je le disais, en intro il continue d’utiliser des procédés manipulatoires peu reluisants basés sur la peur, la division et la haine comme celui-ci, qui n’aident en rien à monter les habitantes et habitants en conscience et compétences sur les enjeux :

« La mission première de la police »: oui mais de quelle police?
Et en matière de politique de sécurité, le cadrage est essentiel tellement la matière est inflammable.
Pour reprendre les termes du délinquant le plus célèbre de France, Nicolas S (nous ne donnerons pas ici son nom par respect pour le droit à la réinsertion sociale), quelle est la « Mission première de la police » MUNICIPALE? « Le policier ou la policière municipale est un agent de proximité. Elle ou il travaille auprès du maire pour assurer des missions de prévention nécessaires au maintien du bon ordre, de la sécurité et de la salubrité publique » nous dit le gouvernement.
Diable. Que viennent donc faire des Lanceurs de Balle de Défense (LBD), arme catégorisée comme « arme de guerre » au niveau international dans les mains de notre police municipale ? (décision de juin 2024 de Jean-Luc Moudenc)
C’est le premier point de cet article: quand on parle police il faut dire laquelle. La mission de lutte contre la criminalité et d’interpellation est une mission de la police NATIONALE. Et depuis le recentrage de cette police nationale sur le répressif en 2003 sous Sarkozy (mince j’ai donné le nom), s’est adjointe une autre tendance dramatique pour la qualité de vie dans nos quartiers: celle de rapprocher notre police municipale de cette police nationale qui donc elle-même abandonnait ses prérogatives de prévention tout en fermant les yeux de plus en plus sur les dérives internes de violence et d’abus de pouvoir.
Le premier drame de la politique de Jean-Luc Moudenc est là: entretenir la confusion entre les polices c’est dire à notre population -> un keuf c’est là pour sanctionner. Et une bagnole de la BAC ou une bagnole de la police municipale, c’est bonnet blanc et blanc bonnet.
Résultat: la défiance. En arpentant les rues de Toulouse, notamment dans nos quartiers les plus populaires, j’entends souvent ce constat paradoxal : un besoin de sécurité et de protection, un besoin de présence pour ne pas se sentir seul.e notamment face aux dealers mais à l’arrivée d’un.e policier.e (municipale ou pas) sur un lieu, un sentiment de malaise et de gêne, une distance voire pour beaucoup de nos jeunes, de la peur liées à des dérives récurrentes et tolérées au sein de la police nationale.
Comment exercer quand on est policier.e municipal.e sa mission de proximité si la confiance de la population n’est pas là? Si le pouvoir politique concourt à éloigner la police de sa population en entretenant la confusion des rôles et en poussant, par les moyens également de plus en plus répressifs, à sortir de ses prérogatives?
Et cela va plus loin que le simple fait de demander des moyens, car ce que fait Jean-Luc Moudenc en demandant les mêmes prérogatives pour la municipale que la nationale, alors que les mécanismes de contrôle de l’action de la police municipale sont bien plus limités (pas d’IGPN même si aujourd’hui elle est défaillante, pas de tutelle), c’est demander à devenir un véritable shérif et accentuer encore sa dérive autoritaire. A l’inverse si nos policiers municipaux rendent compte auprès du procureur sur d’autres actes, nous perdrons le lien de redevabilité dont nous sommes responsables par rapport à nos agents.
Proximité et tranquillité riment-elles avec LBD ? La mission avant l’équipement et c’est pas moi qui le dis…
Est-ce que vraiment, quand on a une mission de proximité et de prévention, la question c’est de quelles armes il faut équiper nos agentes et agents?
Pistolets semi-automatiques, bombe de gaz lacrymogène, tonfa, pistolet à impulsion électrique (PIE) et maintenant LBD comme je le disais, l’arsenal toulousain est impressionnant. Et pose de multiples et couteuses obligations: formation régulière et exigeante (Toulouse a maintenant son propre stand de tir à faire tourner), maintenance, renouvellement.
Le bénéfice attesté de l’armement par plusieurs agents rencontrés est un effet qu’ils sentent dissuasifs face à des comportements agressifs mais qui a un effet pervers également de mise à distance de la population (cf plus haut et la méfiance / peur côté habitantes et habitants).
Mais elles et ils nous disent souvent que le choix d’armer ou non est avant tout politique et électoraliste et ne correspond pas (voir plus bas la question de l’efficacité vs les coûts) à un besoin de politique publique.
Un cadre de la police municipale toulousaine me l’a dit un jour, ce qui m’a valu des railleries en conseil municipal de la part de l’adjoint à la sécurité de Jean-Luc Moudenc quand je le relatais, « la meilleure arme du policier municipal c’est sa langue et son stylo« . Dialoguer, créer du lien, de la proximité c’est là le rôle essentiel. EN COMPLEMENT de la police nationale et de la justice dont il faut exiger, oui et je rejoins le maire là dessus, plus de présence et de moyens notamment contre le fléau du narcotraffic et ses dérives de plus en plus violentes.
Et ce témoignage c’est aussi celui que j’entends dans les quartiers: beaucoup de désormais anciennes et anciens, regrettent le temps de la police de proximité où le dialogue aidait à limiter la criminalité et les dérives. Où les ilotier.es connaissaient les familles et les enfants par leurs prénoms et prévenaient nombre de dérives.
Et aujourd’hui? Aujourd’hui les patrouilles de police municipale sont priorisées sur les quartiers les plus aisés (où il ne se passe pas grand chose à part la chasse aux SDF) et, en dehors de la présence utile et appréciée de la PM sur les marchés, le lien population-police se transforme souvent plus tard dans la journée à des confrontations musclées avec la PN voire pire avec la BAC, prolongeant la défiance. Pour quel résultat?
Le bilan de Jean-Luc Moudenc: 10 ans de dérive répressive pour quels résultats?
Rappelons tout d’abord, avant de mettre en avant quelques chiffres, que les problèmes de sécurité affectent souvent les plus pauvres. Aussi quand on lit les chiffres que je vais égrainer, il faut bien avoir en tête qui en patit le plus: les quartiers populaires. Et qu’une des grandes injustices dans notre ville c’est le manque d’équité de traitement face au sentiment d’insécurité.
Le droit commun, toujours le droit commun.
Rappelons ensuite que quand on parle de sécurité (et donc d’indicateurs), il faut également parler sentiment d’insécurité. Car la clé est autant de réduire les actes que les ressentis pour améliorer la qualité de vie. A titre d’exemple à Bordeaux en 2021 une enquête sur les causes racines du sentiment d’insécurité dans les quartiers avait fait apparaître, autant que la question du deal, la question de la dégradation du cadre de vie (propreté / entretien). Cela justifie pleinement de revoir les indicateurs de « sécurité (voir dernier chapitre mais aussi cette excellente vidéo de Datagueule) pour déconstruire aussi les représentations.
Et quand bien même, si on garde le prisme purement répressif de Jean-Luc Moudenc, que donnent les stats répressives sur le mandat (chiffres de l’observatoire de la délinquance) :
– entre 2016 et 2024, le nombre de coups et blessures volontaires a augmenté de plus de 50%
– les violences sexistes et sexuelles ont doublé sur la même période
– le nombre de délits liés au trafic de stupéfiants a lui aussi doublé
– augmentation (comme la tendance nationale) des actes racistes, antisémites et homophobes
– 80 000 excès de vitesse par jour (!) en 2021 dont 5 500 de plus de 20 km/h sur uniquement les 41 radars pédagogiques de la ville
Alors les chiffres sont toujours tendancieux je l’ai dit (et donnent parfois à des scènes ubuesques en conseil municipal ou sur les réseaux où l’adjoint à la sécurité justifient les « bons chiffres » de baisse de la délinquance – il y en a – par le bon travail de la police et les « mauvais » par … le bon travail de la police car ça veut dire qu’elle intervient plus !..) donc mon propos est uniquement de relativiser la communication dithyrambique du maire.
Surtout que tout cela a un coût important qui manque à d’autres politiques publiques, notamment celles en faveur du lien social. Citons un seul exemple: sur ce mandat, dans le cadre du Conseil Local de Sécurité et Prévention de la Délinquance (CLSPD), 34 agents à temps plein devaient être déployés sur le terrain pour faire de la médiation sociale. Bilan: 0…..
Et oui, combien ça coute? Pour quelle efficacité?
Pour comprendre ce qui se joue financièrement, là encore quelques chiffres:
– La vidéosurveillance est passée de 150 caméras en 2014 à 650 fin 2024 (chiffres du magazine municipal « A Toulouse » d’octobre 2024) pour un cout unitaire d’installation par caméra autour de 30 000 euros (mais qui peut aller beaucoup plus haut). Ce coût doit aussi être complété par un coût annuel de maintenance. Pour donner un ordre d’idée, les caméras en ville sur le mandat 2021-2026 c’est 8,4 millions d’euros d’installation et 1,5 million de maintenance (à titre de comparaison le budget des 16 centres socio culturels de la ville c’est 1,2M d’euros). Coût qu’il faut compléter par le coût « humain » des 40 opérateurs vidéo qui ne sont, pendant ce temps, pas sur le terrain (je ne rentre pas ici dans le débat les bénéfices de la vidéo-surveillance, focalisés sur les signalements, la vidéo-verbalisation et l’aide au SAMU, bénéfices très contestés par les chercheurs en sciences sociales ou la cour des Comptes ou même encore par nos propres policier.es dont plusieurs m’ont dit que cela ne servait « qu’à faire de la stat car la plupart du temps on arrive trop tard après les faits« )
Ces coûts devraient être assumés par l’Etat puisque la plupart des images sont utilisées sur saisie de la police nationale dans des résolutions d’enquête mais hélas le zèle dogmatique de notre maire nous en fait aujourd’hui porter les couts.
– l’armement: pour la population des agents de Toulouse, en prenant en compte le cout d’achat (amorti sur 5 à 10 ans) d’une arme de poing et d’un taser, la maintenance, la formation continue et l’entrainement au tir, les assurances spécifiques, quelques recherches vite fait (ne pas hésiter à commenter) donnent un chiffre autour de 700 000 euros par an (je précise que nous n’avons jamais réussi à avoir les vrais chiffres de la part de la majorité). Et concernant là encore l’efficacité de l’armement, il n’existe que peu de chiffres en France et les études internationales pointées par le directeur de recherche du CNRS Sébastian Roché montrent qu’il n’y a pas de lien mesurable entre armement et réduction de la délinquance. Quand à la question du besoin venant des agents, c’est une vraie question, importante pour leur cadre de travail mais qui est aussi très liée aux missions qu’on leur confie (a-t-on besoin d’un LBD pour faire le tour d’un marché?)
Si je devais résumer, je dirais que sur ces 2 facteurs, nous payons cher un symbole et un message: celui de la fermeté. Que Jean-Luc Moudenc considère payant électoralement, c’est sûr mais si on se place du côté de l’intérêt général et de l’efficacité des politiques publiques ?
Et maintenant ? En 2026, quels enjeux?
Plutôt que d’annoncer des grandes mesures, il faut, et je suis fidèle à l’ADN d’Archipel Citoyen en le proposant, recréer de la confiance entre habitant.es et police municipale en reprenant les bases ensemble.
1) Changer le cadrage : définir une politique publique des sécurités. Alimentaire, du logement, éducative, affective, routière, sanitaire. Discuter de la situation de nos quartiers avec ce prisme complet pour mieux définir les priorités. Reposer le fait que la sécurité n’est pas qu’un sujet de police et soutenir les habitant.es dans le passage du besoin de sanction au besoin de résolution des problèmes (donc passer du regard sur les symptômes au regard sur les causes)
2) Reposer ainsi démocratiquement avec les parties prenantes (habitantes, habitants et police municipale mais aussi bailleurs sociaux, structures sociales et associatives de quartier, ASVP, police nationale) la mission première de la police MUNICIPALE : quelles priorités ? Quels quartiers? Quelle attitude locale face au deal? Quel rapport à la jeunesse? Quelle complémentarité avec d’autres structures de proximité à amplifier/créer comme les concierges d’immeubles à ré-installer dans nos batis sociaux? les assos? Quel type de patrouille?
Il faudra aussi inclure des représentants des habitantes et habitants dans les instances de travail du Conseil Local de Sécurité et de Prévention
de la Délinquance, qu’elles soient techniques ou stratégiques, comme le préconise le dernier rapport de la FFSU
Déconstruire les représentations que se font chaque partie des autres sera un des éléments fondamentaux de ce travail. Avec notamment la question épineuse des indicateurs. L’exemple de Barcelone est intéressant: en changeant la focale pour parler de sentiment d’insécurité et de sécurités au pluriel, la ville a défini des indicateurs mélangeant protection, soin et sécurités qui ont permis de limiter la politique sécuritaire du chiffre sarkozyste (multiplier les interventions mineures pour gonfler les stats) et de faire produire des statistiques conjointes police municipale – politique sociale beaucoup plus en lien avec la population, laissant ainsi à la police nationale son rôle de suivi du répressif. Cela rejoint également une des préconisations de la FFSU: « Refonder l’action des forces de l’ordre sur la pratique de résolution de problème et le service rendu aux citoyens. Cette approche est mesurée par des indicateurs intégrant le degré de satisfaction des citoyens«
3) L’humain d’abord: maintenir les effectifs et assumer de les amplifier selon les nouvelles missions. Travailler avec elles et eux sur les profils recherchés et les conditions d’exercice des policier.es dans un contexte de concurrence acharnée entre villes pour attirer des candidat.es. Amplifier les liens police-structures sociales au sein des CLSPD. Et retourner sur le terrain, à pied ou à vélo, au contact direct.
L’humain d’abord c’est aussi amplifier la culture de la médiation et de la collaboration, au cœur du projet d’Archipel Citoyen qui doit irriguer toutes les pratiques de toutes nos structures.
4) Lutter contre les discriminations et se focaliser sur la jeunesse : notre police doit être exemplaire dans son attitude face aux discriminations notamment raciales. La confiance se réinstaurera par une attitude irréprochable et un traitement impartial dans les relations.
Et une des populations cibles à la fois d’attention sur l’exemplarité et de soutien doit être notre jeunesse et des personnes qui les entourent (soutien aux foyers notamment mono-parentaux).
5) Faire un bilan précis du coût des moyens actuels et de leur bénéfice avant d’en déployer d’autres: vidéosurveillance, panoplie d’armement, véhicules. Se poser ainsi la question des bénéfices réels amenés par chaque dotation en vue de leur maintien, redéploiement (vidéosurveillance) ou retrait. Associer les agents : quels bénéfices pour leur sécurité? leur qualité de travail? le recrutement?
6) Féminiser la police municipale et la politique publique des sécurités: l’exemple de Barcelone doit nous guider là encore. En travaillant l’exemplarité de la police municipale sur la discrimination de genre, ce sont toutes les discriminations citées plus haut qui ont diminué.
7) Amplifier le combat devant l’Etat pour qu’il assume ses missions tout en réaffirmant le rôle central de pilotage de la municipalité: police nationale, justice, l’Etat se désengage de notre ville. Redéfinir les périmètres c’est exiger de l’Etat qu’il reprenne en mains le sien. Et que la coordination locale soit faite par la ville plutôt que par l’Etat. Nous connaissons notre ville et ses besoins.
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